Les protéines de blé, une ressource nutritionnelle et stratégique
Passion Céréales
Si les céréales ont toujours été un aliment de base de l’humanité c’est avant tout parce qu’elles contiennent des nutriments énergétiques et structurels indispensables aux organismes humains et animaux : les glucides, les vitamines, les minéraux et oligo-éléments, les fibres et les protéines, qui assurent de nombreuses fonctions aux niveaux musculaire, osseux, immunitaire… Les protéines sont faites d’une vingtaine de maillons différents qu’on appelle des acides aminés permettant à l’organisme humain de fabriquer ses propres protéines. En effet, quand on consomme des produits céréaliers, le métabolisme en absorbe les protéines puis brise les chaînes d’acides aminés pour en recréer d’autres qu’il pourra utiliser.
Le blé tendre et le blé dur sont particulièrement riches en protéines. Pour remonter à leur source, il faut décortiquer le grain de blé qui est constitué de trois éléments : l’enveloppe (également appelée « son »), l’amande et le germe. L’amande contient majoritairement de l’amidon (environ 80 %) ainsi que des protéines, dont le taux varie en fonction de différents paramètres, comme nous le verrons plus loin.
Des qualités technologiques recherchées
Au-delà de leur intérêt nutritionnel, les protéines possèdent des qualités techniques indispensables à la fabrication des aliments céréaliers, notamment en ce qui concerne le processus de panification. En effet, lorsque le boulanger pétrit la pâte, il permet à certains maillons des protéines de s’accrocher ensemble pour former une sorte de filet. Il laisse ensuite la pâte reposer. C’est alors que les levures entrent en jeu, formant des bulles de gaz qui sont retenues par ce filet. C’est grâce à ces bulles que le pain se met en forme pendant la cuisson, avec une mie légère et aérée, une croûte croquante…
La teneur en protéines du blé tendre peut varier de 10 % à 13 % selon le climat, les variétés de blés semés et les pratiques culturales mises en œuvre par l’agriculteur. La récolte française est depuis plusieurs années confrontée à une baisse de la teneur en protéines qui, après avoir atteint un pic de 12,5 % au début des années 2000, a touché son plus bas niveau en 2014 (11,1 %). En moyenne, la récolte française de blé tendre présente actuellement un taux inférieur à 11,5 % une année sur deux, avec de surcroît de fortes disparités régionales.
Si cet effritement est multi-factoriel, il s’explique en grande partie par l’évolution des conditions climatiques qui perturbe le phénomène de transfert d’azote disponible dans le sol vers les plantes. Comme le précise Rémi Haquin, président du Conseil spécialisé Céréales de FranceAgriMer, « il tient à l’effet de dilution, lié au bon niveau de rendement et à une assimilation azotée des plantes demeurée insuffisante tout au long de la phase de développement. Pourtant, le critère de protéines est un élément déterminant et fondamental de la qualité des blés et de notre capacité à les vendre sur l’ensemble des marchés. »
De fait, si la diminution, certes faible mais continue, du taux de protéines n’est pas endiguée, le blé tendre français pourrait à terme éprouver des difficultés à répondre aux exigences des acheteurs qui imposent aujourd’hui une teneur minimum située entre 11% et 12,5%.
Sur le marché intérieur, les fabricants d’aliments pour le bétail, principal débouché des blés français, sont de plus en plus attentifs à la teneur en protéines pour des raisons à la fois nutritionnelles et économiques. En effet, les céréales d’origine française représentent environ 60% de la composition des rations animales. Si la baisse du taux de protéines s’avérait durable, elle inciterait les fabricants d’aliments pour animaux à se tourner de plus en plus vers des solutions alternatives, majoritairement importées de pays tiers.
Parallèlement, les acteurs de l’alimentation humaine formulent eux aussi des demandes croissantes en protéines afin de répondre à des contraintes techniques liées à certains process comme la panification mécanisée ou à la surgélation des produits. De leur côté, les amidonniers – dont le métier consiste à extraire et valoriser les différents composés du grain, l’amidon et les protéines – formulent des attentes de plus en plus proches de celles de la meunerie quant à la richesse en protéines.
Enfin, sur les marchés export [1], la teneur en protéines figure en tête des critères recensés dans les cahiers des charges, tant de la part des membres de l’Union européenne que sur les autres marchés. Pour ces derniers, notamment pour les pays du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne, les acheteurs réclament de la protéine pour des raisons nutritionnelles, mais aussi « techniques », le blé devant pouvoir être valorisé dans toutes les conditions et pour toutes les utilisations. « À ces critères qualitatifs, s’ajoutent des impératifs de compétitivité sur des marchés où les autres pays producteurs exercent une pression concurrentielle toujours plus forte », souligne Solenn Le Boudec, directrice adjointe d’Intercéréales.
Optimiser les pratiques culturales
Pour maintenir ses positions sur le marché intérieur, où le blé tendre français satisfait actuellement 99 % de la demande, pour rester compétitif à l’export, où la France commercialise 50 % de sa production, et pour profiter pleinement de la forte croissance de la demande mondiale – avec une population qui comptera à terme plus de 9 milliards d’individus à nourrir – le blé français doit impérativement maintenir un taux de protéines élevé.
Afin de répondre à cet enjeu aux multiples implications, la filière céréalière (Intercéréales et FranceAgriMer) a mis en place, en 2014, un « Plan Protéines blé tendre » [2] S’appuyant sur l’expertise d’Arvalis-Institut du végétal, elle a également identifié les principaux leviers sur lesquels les agriculteurs peuvent agir efficacement. La démarche consiste à prendre en compte deux catégories de données : les stades de développement physiologiques de la plante et les conditions météorologiques. Objectif : apporter la juste dose de fertilisant au bon moment et au bon endroit pour fabriquer ses protéines, sachant que ces périodes cruciales sont fortement influencées par la météo…
De manière concrète, le processus proposé aux agriculteurs se décompose en plusieurs phases. « Premier levier : choisir une variété valorisant mieux l’azote et présentant un bon compromis rendement/teneur en protéines, détaille Jean-Paul Bordes, chef du département recherche et développement d’Arvalis-Institut du végétal. Grâce aux progrès génétiques, les variétés récentes sont plus performantes pour extraire l’azote du sol. Deuxième levier : piloter efficacement l’azote en apportant la juste dose au bon moment, adaptée aux besoins des plantes avec des apports fractionnés. Le tout sera complété par le soin apporté à l’épandage. » Soutenue par une dynamique d’information et de formation relayée sur le terrain par les coopératives, les négociants, et l’ensemble du développement agricole, la généralisation de ces pratiques culturales et environnementales permettra à terme d’enrayer l’érosion du taux de protéines et, partant, de sécuriser l’économie céréalière du pays.
Le choix des variétés de semences, la fertilisation azotée et le climat sont les trois principaux facteurs qui contribuent à la teneur en protéines des grains de blé. Les protéines se forment dans la plante de blé tout au long de son cycle de vie (germination, levée, tallage, montaison). La teneur finale des grains en protéines est le résultat du rapport entre la quantité d’amidon qu’ils contiennent et la quantité d’azote absorbé par la plante et transféré dans le grain. L’excès d’eau, la sécheresse, les températures élevées ou échaudantes influent sur ces deux paramètres (quantité d’amidon et azote absorbé) c’est pourquoi le climat joue, à chaque étape, un rôle déterminant.
« Plan protéines blé tendre » : un enjeu mobilisateur
La filière céréalière est mobilisée depuis 2014 autour d’un ambitieux « Plan protéines blé tendre », porteur d’un objectif collectif de taux de protéine fixé à 11,5 % en moyenne nationale. Ce plan se déploie autour de trois volets : Contractuel, Agronomie et Recherche. Le premier volet introduit la mention d’une teneur en protéines dans tous les contrats d’achat/vente portant sur du blé tendre. Le second porte sur l’évolution des pratiques culturales (assolement, nouvelles variétés de semence, couverts végétaux...) couplées à l’utilisation d’outils d’aide à la décision pour un pilotage toujours plus fin de la fertilisation azotée. Parallèlement, la recherche génétique et la sélection variétale offrent de nouvelles perspectives en orientant prioritairement leurs travaux sur l’amélioration de la fertilisation des céréales et sur l’obtention de futures variétés de blé conciliant rendement et teneur élevée en protéines.