
Agriculture et biodiversité, des solutions locales pour un enjeu mondial
La notion de biodiversité regroupe l’ensemble des êtres vivants, des écosystèmes, des micro-organismes, des plantes, des champignons et des animaux ainsi que les interactions qui les relient entre eux et avec le milieu dans lequel ils vivent. « L’émergence au niveau mondial de la question de la biodiversité et, plus précisément, de l’érosion de la biodiversité identifiée comme un enjeu planétaire date du Sommet de la Terre de Rio, en 1992 », explique Jérôme Lesage, directeur de l’association Hommes et Territoires, dont la vocation est de rechercher, promouvoir et mettre en place des solutions de développement durable pour l’agriculture et les territoires.
L’adoption, au cours de ce sommet, de la « Convention sur la Diversité Biologique » a engagé les pays signataires à protéger et à restaurer la diversité du vivant. Malgré cela, la notion de préservation de la biodiversité est restée très marginale pendant les années qui ont suivi. « C’est seulement depuis deux ou trois ans que l’on constate un réel début d’implication, précise Jérôme Lesage, mais cet enjeu qui requiert une mobilisation de tous les acteurs, de toutes les compétences, et qui nécessite de dépasser le clivage obsolète entre agriculture et environnement commence désormais à fédérer agriculteurs, chasseurs, organismes collecteurs, filières agro-industrielles et même la grande distribution… »
En ce qui concerne les plaines et les milieux ouverts, où sont notamment implantées les cultures céréalières, les experts ont identifié cinq axes prioritaires pour engager des actions en faveur de la biodiversité.
- Préserver les sols. Premier patrimoine du monde agricole, le sol est un système complexe dont les multiples éléments interagissent en permanence. C’est aussi un milieu vivant qui représente l’un des plus grands réservoirs de biodiversité dont les agriculteurs sont les gestionnaires au quotidien. Les techniques de préservation des sols, aujourd’hui largement répandues dans le monde agricole, y contribuent de manière efficace.
- Soigner la flore sauvage végétale. Celle-ci est à la base de la chaîne alimentaire. Indispensable interface entre les cultures et les bois, les chemins et les bords de route, cette flore est présente de manière spontanée, sans être cultivée. Elle représente 80 % de la diversité végétale. Les pollinisateurs vont s’y alimenter en juillet et en août. Mal entretenue, elle laissera place aux plantes adventices (mauvaise herbes) et perdra l’essentiel de ses atouts. Les agriculteurs contribuent à l’entretien de ces zones de flore sauvage en périphérie des parcelles cultivées.
- Attirer les oiseaux. La biodiversité s’attache à la préservation d’oiseaux emblématiques des champs et des plaines, comme la perdrix. Les terres agricoles françaises représentent, à cet égard, un enjeu de dimension européenne. En effet, grâce à l’étendue et au maillage territorial de ses cultures, la France un abri favorable aux oiseaux migrateurs qui aiment tout particulièrement se reproduire dans les champs de céréales. Les agriculteurs encouragent de plus en plus ce phénomène naturel par des actions spécifiques : construction d’habitats aviaires, implantation de couverts végétaux pour certaines espèces d’oiseaux nichant directement dans les cultures de blé et d’orge...
- Lutter contre le dépérissement des pollinisateurs. Outre le plan de protection des abeilles, le ministère de l’Environnement a signé en avril 2016 un plan national d’actions, baptisé « France, terre de pollinisateurs », destiné à lutter contre les multiples causes de dépérissement des insectes pollinisateurs sauvages. Cela passe notamment par le respect ou la restauration de leurs habitats mais aussi par l’augmentation de la richesse en fleurs qui constituent leurs ressources alimentaires. Dans les zones de plaine où l’on trouve peu de fleurs, les grandes cultures, notamment le colza, jouent un rôle important dans ce domaine.
- Multiplier les auxiliaires de culture. Ce vecteur de biodiversité, apparu en 2015 et qui contribue à la réduction des utilisations d’insecticides, ouvre une voie prometteuse. Il s’agit de favoriser le développement d’auxiliaires utiles aux cultures, comme la coccinelle et d’autres insectes qui s’attaquent aux ennemis des plantes. « En effet, certaines espèces de guêpes, presque invisibles, pondent dans les pucerons, ce qui les élimine et contribue ainsi à la lutte biologique contre ces parasites », précise Jérôme Lesage. Par ailleurs, les oiseaux s’avèrent être aux aussi d’excellents auxiliaires de culture en éliminant naturellement les ravageurs. On trouve ainsi sur les parcelles céréalières des oiseaux qui n’ont pas besoin d’arbres. Ils se reproduisent et nichent au sol. Ils se nourrissent aux abords des champs de céréales ou dans les champs mêmes. C’est le cas de la perdrix grise, de la bergeronnette printanière, de l’alouette des champs, de l’hirondelle de fenêtre ou du busard. On trouve aussi des oiseaux qui vivent dans les haies, à proximité des cultures, où ils se nourrissent notamment de maïs et de millet. Enfin, on recense aussi des espèces appréciant les arbres isolés comme les mésanges et les hirondelles.
Les haies reviennent en force dans le paysage agricole français. Nombreux sont leurs atouts agronomiques et environnementaux. Planter un arbre ou une haie, c’est à la fois créer une étape pour un animal ou un oiseau et disséminer sur les parcelles des réservoirs de biodiversité. On recense plus de 1 000 espèces animales différentes dans les haies françaises : des vers de terre pour le travail du sol, des insectes qui pollinisent les fleurs des cultures, des coccinelles, des coléoptères (carabes) qui mangent les limaces en lieu et place des pesticides, des syrphes... Les haies offrent ainsi des refuges et des points d’alimentation pour les oiseaux et les mammifères.
Agriculteur céréalier dans l’Orléanais, Jacques Mercier est un pionnier dont l’expérience est édifiante dans ce domaine. Dès 1990, il a planté une toute première haie de 636 mètres de long sur ses parcelles aujourd’hui consacrées au blé tendre panifiable, au blé dur, à l’orge de printemps ou encore au maïs et aux lentilles. Pour cet amoureux de la nature, la première des motivations a été de retrouver le chant des oiseaux, de voir réapparaître des espèces disparues comme l’œdicnème criard (courlis de terre) ou la huppe fasciée. Outre les haies, où il sème maïs et millet dont sont friands les oiseaux, Jacques Mercier a mis en place sur son exploitation de 175 hectares des nichoirs à rapaces et des nichoirs à chevêches. Ces dernières mangent les mulots et les souris, nuisibles très difficiles à éliminer et nécessitant une autorisation de la Préfecture pour tout autre type de traitement moins naturel...
Il a également réussi à conserver et à protéger une mare privée qui attire bécasseaux, canards et autres poules d’eau. Un tout récent chiffrage effectué par l’ornithologue de l’association Hommes et Territoire a comptabilisé pas moins de 37 espèces d’oiseaux différents vivant sur son exploitation. Outre un refuge et un ombrage appréciés des oiseaux, les haies s’avèrent aussi être de véritables auxiliaires de cultures pour le céréalier. En effet, elles fournissent un habitat propice au séjour des carabes ou des coccinelles, qui aiment à s’y réfugier et s’avèrent être d’excellents prédateurs des limaces, pucerons et autres ravageurs. Enfin, sources incomparables de biodiversité, les haies offrent, par leur effet brise-vent, un abri aux oiseaux et aux animaux mais aussi aux cultures et aux hommes.
Selon Jérôme Lesage, le déploiement sur le terrain des bonnes pratiques agricoles ciblées sur les questions de biodiversité repose aujourd’hui sur trois piliers. « Tout d’abord, la sensibilisation et l’information des agriculteurs, qui s’effectuent à travers les différents réseaux professionnels : chambres d’agriculture, filières, coopératives, associations... Vient ensuite la mise en place d’outils concrets : formation, diagnostics, actions collectives avec les agriculteurs : par exemple l’installation de nichoirs à rapaces sur les exploitations, ces systèmes se révélant très efficaces dans la lutte naturelle contre les campagnols. Enfin, l’entretien des bords de champs doit faire l’objet d’un soin particulier en respectant un calendrier optimal des périodes de broyage. On le fera de préférence après les moissons pour permettre aux animaux de réaliser leur cycle biologique qui nécessite un apport en alimentation fournie par ces bordures. De même, la mise en place des couverts végétaux intermédiaires entre deux cultures favorise la faune et la flore sauvages, pour les auxiliaires de culture en général, et les pollinisateurs en particulier… »